L’Ultra Tour du Léman tient une place spéciale dans mon cœur. Tout d’abord, c’est le fait de faire le tour de ce lac qui est mon chez-moi depuis 37 ans – mais c’est surtout l’ambiance de cette course que j’adore. Ce sont chaque année des superbes rencontres humaines, à commencer avec elle de son organisateur, Jean-Luc Ridet, qui est responsable de réunir chaque année ce groupe de coureurs enthousiastes. Je l’avais contacté en 2013 en voyant un weekend des coureurs avec sacs à dos et dossards entrain de courir sur la rade de Genève. J’ai participé comme bénévole l’année suivante et je savais alors que cette course, je devais la faire. Du coup, 2015 est devenu une année test avec les 100km de Millau et en 2016 j’ai participé pour la première fois – en échouant à Morges après 130km et 19h de course, les jambes tétanisées. Mais c’était une année où j’avais été, pour moi, un peu boulimique, et j’avais participé à une autre course que j’avais en point de mire depuis quelques années, la Swiss Irontrail – 201km avec 11,000m de dénivellé – et j’avais axé mon entrainement sur la montagne en me disant que le transfert sur route ne serait pas un gros problème ! Et ben si…
Donc 2017,
j’ai privilégié la route et le plat pour arriver fin prêt le 16 septembre à
Villeneuve. Une pointe de blessure au pied droit m’a forcé à réduire
l’entraînement prévu pour juillet-août mais ayant terminé la GUCR (233km) en
mai, je me sentais quand même en forme et prêt à en découdre.
Vendredi
soir j’ai retrouvé l’ambiance chaleureuse et unique de l’UTL. Quelques têtes
connues de l’année précédente et des 12h/24h de Villeneuve en avril – Corrinne,
Juan et Paola – et des nouvelles rencontres, comme Scott, un expat australien
de Nyon, Dylan, un autre expat de Lyon dont je suis le blog depuis quelques
temps, Sylvain de Bretagne, Hélène de Dax dans les Landes, ou encore Ruthann,
une irlandaise postée quelques mois en Suisse pour le boulot et qui s’est dit,
« ah, y a une course autour du lac, tiens, je m’inscris ». Et qui a
fini 2e en moins de 20h ! Bon, elle n’en est pas à son coup
d’essai, puisqu’elle est championne d’Irlande du 24h (225km). On le sait, parce
que Jean-Luc prend la peine au briefing vendredi soir de s’informer et présenter
tous les coureurs individuellement. Il y a les palmarès, bien sûr, avec des
records de distances sur tapis, des transgaule, transeurope, étoile savoyarde,
spartathlons, UTMB, Tor et autres, mais au bout du compte c’est le petit monde
un peu spécial de l’ultra marathon qui nous unit tous, à cœurs égaux. Car nous
sommes aussi quand même un certain nombre dont les palmarès sont bien plus
modestes. Il y en a aussi pour qui c’est la première fois qu’ils tentent un 100
miles. Tout le monde
s’encourage pour ce qui sera un défi personnel pour tous. Chacun sa perf,
chacun son chemin !
Et puis il y
a le staff, les bénévoles, incroyables. Comme l’a écrit l’un des concurrents,
René Lecacheur, après la course : « MERCI infiniment de votre
présence, de votre dévouement, de votre patience, votre serviabilité, de votre
gentillesse, de votre sourire, de votre bonne humeur, de votre disponibilité,
de vos petites attentions à notre égard, de votre plaisir d'être là. À chacun
recevez la médaille du mérite, de l'altruisme, de la bonté que vous méritez. En
ces mots, recevez notre gratitude ô combien mérité par votre travail dans
l'ombre souvent dans des conditions pas évidentes (nuit, froid, vent...etc),
mais vous êtes toujours là, pour nous, toujours avec le sourire. Alors Merci,
MERCI infiniment ».
Après le
briefing, dîner convivial puis dodo. Pas trop mal le sommeil. Je me réveille
dans un drôle d’état mental, comme si je ne réalisais pas tout à fait que je
partais faire 175km. La plante de mon pied droit couinait au réveil, mais au
final ce ne sera jamais plus que ça même après 29h de course, donc je n’aurai
pas à me plaindre (zut !).
Villeneuve – Lugrin – CP1 (22,5km)
Départ dans
la fraîcheur à 7h tapantes au son des cloches de vache. Tout de suite René
(recordman de France et 2e record mondial de distance sur tapis en
24h – 247km ! – je ne savais même pas que ce genre d’exercice existait,
faut avoir envie !) fonce devant. Il est venu pour gagner, voire battre le
record… Il est suivi par un petit groupe – puis il y a moi, à environ
9km/h comme prévu. Un autre groupe plus tranquille se constitue derrière moi... Du
coup, après 10 minutes de course je me retrouve tout seul. Et je resterai tout
seul – sans voir personne ni devant ni derrière - pendant près de 15h de course…
Ah, ben moi qui n’aime pas les foules sur les courses, me voilà servi !
Mais aucun souci, d’ailleurs je suis venu vivre un nouveau voyage autant intérieur
qu’extérieur…
Ce premier
tronçon se déroule bien. Je mets déjà un peu de musique, je cale mon allure, et
après une heure je me force à marcher un peu chaque quart d’heure. Les premiers
kilomètres sont dans la nature près du lac reliant Villeneuve au Bouveret, puis
on passe la douane pour entrer en France. On est tout proche du lac et le
soleil brille. La vue est magnifique, avec la montagne abrupte à gauche, le lac
à droite, et je me sens bien heureux d’être là.
J’avais fait
une estimation de temps basée sur mon expérience du GUCR et mon état de forme,
et j’arrive pile dans les temps en 2h30. Un café, un bricelet fait maison par
la fille de Raphaëlle, l’une des bénévoles fidèles de l’UTL, et je repars – en
oubliant ma gourde ! Mais j’avais ma poche à eau dans le sac à dos, donc
pas de frayeurs. Raphaëlle me dit qu’elle sera aussi au dernier CP7 je lui
promets que cette année elle m’y verra !
Lugrin – Anthy-sur-Léman – CP2 (44km)
Anthy-sur-Léman – Chens-sur-Léman – CP3
(64km)
Chens-sur-Léman – Bellevue – CP4 (87km)
Vers 16h15
je passe devant le jardin de ma belle-mère. L’année dernière je me suis arrêté
plus d’une demi-heure pour papoter avec ma femme et sa mère et récupérer un peu
– je n’étais pas au top mais cette année, même si je n’ai pas fait de pauses
aux ravitos de plus de 5mn, je ne voulais pas m’attarder autant donc rdv devant
chez moi pour un échange de bisous. D’autant plus que je me sens bien mieux que
l’année dernière où je souffrais déjà bien des jambes, même si la nausée est
revenue de façon latente. Juste avant d'arriver à Collonge, je me tape la causette avec un cycliste qui me demande ce que je fais, puis m'explique qu'il fait l'Ironman de Barcelone dans quelques semaines et qu'il en est à sa dernière sortie longue et qu'il doit enchaîner avec de la course à pied mais qu'il n'est vraiment pas motivé... Bon, chais pas, j'ai d'autres soucis là...
Je passe devant l'école de ma fille et j’appelle
ma femme pour l’avertir. 10mn plus tard elle m’accueille devant la
Migros de Vésenaz avec ma fille. Elles m’achètent une glace (hmm…), ma fille me
tends le Monster que j’avais laissée dans notre frigo, et on se pose au soleil
un quart d’heure – ma fille sur un autre banc à dix mètres parce que je sens
mauvais ! Elle me dit que je dois me dépêcher, je vais me faire dépasser –
aucune crainte ! Enfin, je veux dire que si c’est le cas, ça ne me
préoccupe pas des masses… Puis elle me dit que je n’ai qu’à rester là. Comment
ça !? Je ne lui ai pas appris à abandonner sans raison ! Elle me dit
que c’est parce que je vais lui manquer ce soir… Oh, mon cœur fend… Mais au-delà
du fait que je ne me vois absolument pas arrêter maintenant, la perspective de
devoir me lever et prendre le train un dimanche matin pour récupérer la voiture et mes affaires à Villeneuve me fatigue de toutes
façons plus que celle de trottiner encore 100km autour du lac. Donc hip-hop
bisous et départ !
Et voilà que
je croise une ancienne collègue de travail. Bref échange où je m’enquiers de
son enfant – je ne veux pas être malpoli et en plus j’avais vraiment envie de
nouvelles parce que ça fait un moment que je ne l’ai pas vu, m’enfin c’est pas
l’idéal. Elle comprend (enfin, elle comprend que je suis dans une course) et je
file pour entamer la descente vers le lac.
Là, le
Monster fait son effet. Avec en plus le fait d’avoir vu ma femme et d’aborder
la magnifique rade sous le soleil (l’année dernière il pleuvait), je pète la
forme et du coup je commence à courir plus et marcher moins, et comme ça jusqu’au prochain ravito. Je passe
5mn à discuter avec une femme à vélo qui me pose des questions sur la course et
m’encourage. Ca m’aide encore plus à me sentir surhomme. Je croise et me fais
dépasser par pas mal de coureurs en sortie – j’essaie de faire un sorte que mon
dossard soit bien visible (« là, voyez, je suis parti pour 175km, c’est
pour ça que je suis si lent ! ») mais bon… Quelques échanges de salut
polis, sans plus…
J’arrive à
Bellevue à la sortie de Genève vers 18h30 encore dans mes prévisions optimistes
pour 26h, voire un peu en-dessous. L’année dernière, la nuit était presque déjà
tombée…
Bellevue – Gland – CP5 (107km)
Je suis à
nouveau seul au ravito avec 3 bénévoles à mes petits soins. On m’offre un
massage, j’hésite, j’accepte. Coup de froid – on me donne deux couvertures,
l’une pour les épaules, l’une pour les jambes. On me sert du bouillon avec
nouilles – mmm, ça passe bien, à peu près la seule chose qui passe avec cette nausée qui
revient par vagues entre coups de gingembre, et avec une nouveauté :
l’impression d’avoir un cachet coincé dans la gorge…
Je suis
étonné de voir Hélène au ravito, puisqu’elle fait la course en relais, mais ça
me fait bien plaisir. Elle attend son coéquipier Philippe qui, souffrant du
genou, est parti à allure tranquille. Elle en a encore pour 2h d’attente
environ. En attendant, elle découvre le chocolat suisse !... Je demande
comment va Dylan, dont je sais que c’est le premier 100 miles, et on m’a dit
qu’il est passé il y a plus d’une heure et demi. C’est cool, il avance bien.
Je repars après
avoir récupéré un changement de nourriture dans mon sac de dépôt – mais alors
que je pensais que chips, biscuits Pims et Oreos serait un vrai délice, il n’y
a rien qui passe – je jette carrément les chips au fromage beurk et grignote
quand même un oreo et un pims. Ca passe, mais je me force un peu. Quelle
déception !
Jusqu’à
Versoix/Mies, je continue à bien avancer. La nuit commence à tomber, mais il y
a assez de lampadaires pour ne pas devoir sortir la frontale. Je croise la
femme de Scott qui me dit que Scott fait la sieste dans la voiture – c’est le
premier concurrent que je vois (et dépasse…) depuis quasi le début de la
course… Puis ma montre commence à rendre l’âme, donc je la branche à ma
batterie portable et la range dans le sac. J’essaie alors d’utiliser le
téléphone pour les alternances course/marche, mais ça ne marche pas au top donc
je fais au feeling.
C’est
peut-être ça l’erreur – car ce bout jusqu’au prochain ravito, qui m’avait
semblé agréablement court l’année dernière (mais j’étais aussi accompagné par
un pote à vélo) et qui est objectivement l’espacement entre deux ravitos le
plus court, me semble interminable. A plusieurs reprises je pense arriver à
Nyon – mais non ! Et quand je sors ma montre pour voir mon allure moyenne
elle a bien baissé. Je n’y comprends rien. Je n’ai pas eu le sentiment d’aller
mal, j’ai continué à courir contrairement à l’année dernière où je ne faisais
que marcher (mais peut-être que mes souvenirs me jouent des tours) et pourtant
je ralentis au point de perdre une partie de l’avance que j’avais sur mon temps
l’année dernière.
Entre cette distortion espace-temps et la solitude, je finis par appeler mon pote Anthony, avec qui j'ai fait le triathlon LD d'Alpe d'Huez, puis l'Ironman de Vichy (enfin, on a participé aux mêmes courses, simplement il a fini loin devant!) et qui était à mes côtés au Swiss Irontrail et au GUCR. Puis j'essaie d'appeler un autre pote, Cyril, que je connais depuis presque 30 ans, avec qui j'ai fait le Marathon des Sables et tant d'autres courses - et là, toujours ensemble - et qui m'avait accompagné à vélo pour l'UTL l'année dernière... Il est à un anniversaire, les 50 ans d'un ami... Ah, tempus fugit!
Je passe Nyon enfin, puis Gland arrive pas trop loin derrière, mais si c’est quelques lacets de route de plus que je pensais… Je crois que les kilomètres ne sont pas les même que l’année dernière, on a ajouté des bouts de route et chaque kilo vaut un mile ! C’est pas possible autrement.
Entre cette distortion espace-temps et la solitude, je finis par appeler mon pote Anthony, avec qui j'ai fait le triathlon LD d'Alpe d'Huez, puis l'Ironman de Vichy (enfin, on a participé aux mêmes courses, simplement il a fini loin devant!) et qui était à mes côtés au Swiss Irontrail et au GUCR. Puis j'essaie d'appeler un autre pote, Cyril, que je connais depuis presque 30 ans, avec qui j'ai fait le Marathon des Sables et tant d'autres courses - et là, toujours ensemble - et qui m'avait accompagné à vélo pour l'UTL l'année dernière... Il est à un anniversaire, les 50 ans d'un ami... Ah, tempus fugit!
Je passe Nyon enfin, puis Gland arrive pas trop loin derrière, mais si c’est quelques lacets de route de plus que je pensais… Je crois que les kilomètres ne sont pas les même que l’année dernière, on a ajouté des bouts de route et chaque kilo vaut un mile ! C’est pas possible autrement.
Gland – St. Prex – CP6 (126km)
L’année
dernière, ici, j’avais déjà des envies d’abandonner. Rien de tout ça cette fois. Je fatigue
un peu, mais les jambes vont relativement bien. A part cette nausée latente,
d’ailleurs, tous les voyants sont au vert. Vert pâle, peut-être, mais
vert. Je demande à nouveau des nouvelles de Dylan – il est passé deux heures
avant, à priori. Il avance donc encore bien, il me grignote même du
temps (même si je ne me suis jamais dit que j’allais le rattraper). Pourtant,
j’apprendrai plus tard par son blog qu’il souffrait de déshydration. C’est
marrant comme ça a toujours l’air plus facile de l’extérieur…
Je ne reste
pas trop long, je récupère une lampe frontale plus puissante (un Petzl Nao qui
me pète les c….s avec des fils qui s’entremêlent, faut vraiment que je change
ça) et hop. Une heure plus tard, je sors du jambon cru de mon sac – c’est dur à
avaler, mais il le faut, et ça passe.
Puis je
ralentis. Je continue de trotter par intermittence, mais je sens que ça
ralentit bien. Cela dit, la distortion espace-temps continue : je vais
quand même mieux que l’année dernière, pourtant j’arriverai au final à St. Prex
avec à peine une heure d’avance sur le temps de l’an passé – j’aurai donc
effectué ce bout de parcours plus lentement ?! C’est à rien y comprendre…
Mais je ne
l’aurais pas fait tout seul. A Rolle, je remplis ma poche à eau dans un bar/pub
(car à Rolle, aucune fontaine n’a de l’eau potable, c’est un
scandale ! J)
et en sortant je vois un autre coureur. Holà ! Je l’interpelle mais il ne
m’entend pas, donc je pique un petit sprint (tout est relatif) pour arriver à
sa hauteur : c’est Scott ! Il va assez bien, il a dormi un peu dans
la voiture de sa femme. Mais il n’est pas non plus vraiment en mesure de
courir, donc à partir de là nous marchons à cadence soutenue.
Et on
échange, sur le boulot, sur les courses que nous avons faites… Scott tente le
défi de faire 500km en 50 jours en courses à pied. Le weekend dernier il a fait
le Swisspeaks, environ 80km et beaucoup de dénivellé technique, et le weekend suivant
il prévoit le LG Trail, 115km avec 3500m de dénivellé de Lausanne à Genève.
Alors du coup, il souffre un peu quand même…
Et on arrive
vers 1h du matin à St. Prex où nous sommes tous les deux d’accord de faire une
pause convenable. J’ai à nouveau un petit sac de nourriture à prendre pour me
faire tenir jusqu’au prochain ravito – largement le plus long temps entre
ravitos – mais à la vue des barres et gels j’ai un haut le cœur qui fait
reculer l’une des bénévoles… Mais je ne redécore pas le sol, et quelques morceaux de gingembre
plus tard et je me sens tout de suite mieux. Mais du coup, plus rien à manger
pendant les 4-5 prochaines heures et plus de gingembre non plus….
Et incapables
de dormir ne serait-ce 5mn – c’est qu’il fait frais sur ces bancs ! – nous
repartons.
St. Prex – Cully – CP7 (153km)
C’est donc
le trançon le plus long et le plus lent… Et on le sent bien!
Je suis
content d’arriver à Morges et donc dépasser le moment où je m’étais arrêté l’année
dernière… Puis peu après la sortie de Morges, Scott me joue des tours : il
voit un abri de bus et dit que ça donne envie de s’allonger – mais il n’en fait
rien et je n’ose pas dire que j’en sacrément envie ! Du coup, je n’arrive
pas à me sortir ça de la tête. A la prochaine occasion, je dis que je vais
m’allonger un peu et je le laisse filer.
La sieste
durera à peine cinq minutes. Le peu de vent qu’il y a est frais et s’engouffre
dans l’abri. Donc je continue… Et rebelote une heure plus tard. Puis c’est les
abords de Lausanne, tout au bord du lac en longeant une forêt. C’est presque
flippant ! Ma Petzl rend l’âme – je n’ai pas dû recharger les piles – et
je marche un moment comme ça jusqu’à ce que je ne vois plus de chemin, dois
rebrousser chemin pour vérifier, puis refaire à nouveau mes pas mais cette
fois-ci avec ma 2e lampe frontale et – magie ! – voilà que je
vois le chemin…
Bizarrement,
c’est l’un des bouts de parcours que j’aime le plus. Le parc boisé à gauche, le
lac à droite, le silence de la nuit… Puis je vois une cabine téléphonique –
quelques panneaux brisés mais en somme plus à l’abri du vent que n’importe où
ailleurs. Je m’allonge en chien de fusil au milieu des mégots mais relativement
confortable en me disant qu’on vit quand même de sacrées expériences en
ultras ! Ca me rappelle un peu mes années de zone, l’alcool, la drogue, la
nuit et la fatigue de la nuit blanche, et pendant un moment c’est désagréable
puis je constate le chemin parcouru, les raisons pour ma fatigue à des années
lumières de celle de la défonce…
Je repars au
bout de 10mn, traverse un port, et j’émerge vers un terrain occupé pour un
concours hippique. Et c’est là que je me rends compte que c’est l’aube.
Peu de temps
après je débouche à Ouchy et je vois Scott devant qui titube. Il n’est vraiment
pas bien. Mais il est au téléphone – avec sa femme je crois – et il
me fait signe qu'il m'a vu. Je reste un peu devant, discret, mais il avance vraiment
lentement. C’est un dilemme – si je reste à sa hauteur, je risque de ne pas
finir ; s’il décide d’abandonner, je risque bien de m’arrêter aussi… Alors
je lui fais signe que je pars un peu devant.
Je regard
derrière moi par intermittence, mais je ne le vois plus. Je m’arrête cinq
minutes pour piquer une somme et l’attendre, mais il ne vient toujours pas…
Bon, il a de l’expérience (finisher, entre autres, d'une course de 250km dans les montagnes au Japon - un peu la Barkley's asiatique), il a un téléphone, nous sommes dans une ville et il
y a déjà des joggeurs en ce dimanche matin donc je ne m’inquiète finalement pas
trop pour lui et je me remotive pour arriver à Cully.
Et c’est là
que la distorsion espace-temps reprends, mais cette fois-ci c’est entièrement
de ma faute. J'a repris ma montre mais le chargeur n'a pas l'air d'avoir marché, donc je la remets au poignet mais en éteignant la fonction GPS. Je ne connais donc ni les distances ni ma vitesse. Alors
je me dis qu’en étudiant les arrêts de bus, je peux deviner combien de temps il
me reste pour arriver à Cully.
Quelle
erreur ! Depuis quand les cartes d’itinéraires de bus sont à l’échelle ?
Donc au début j’ai le sentiment d’avancer super vite, calculant qu’à l’allure
où je franchis les distances entre arrêts de bus je devrai arriver au dernier
ravito à Cully vers 7h15 – trop cool ! Fait bizarre : chaque fois que
je m’arrête à un arrêt pour consulter l’horaire, un bus arrive, comme pour me
narguer. M’enfin, c’est dimanche matin, c’est quoi ce délire ? J’aimerai
bien des bus qui passent au souvent un dimanche à Genève…
Mais voilà :
lorsque je passe dans un magnifique village au bord du lac pensant que je vais
déboucher sur Cully, en fait je ne suis qu’à la sortie de
Pully. Mais c’est surtout après que le moral en prend un gros coup : selon
l’itinéraire ça devait être, à distance à peu près égal, Pully-Lutry-Cully… Or
entre Lutry et Cully il y a un petit bled qui s’appelle Villette, qui arrive bien
après Lutry, après une grosse ligne droite !
Mais
heureusement, le décor est splendide à cette heure matinale, avec le lac
scintillant à droite et les vignes à gauche, au milieu duquel roule le train
comme un jouet miniature… En plus, à la sortie de Lutry, j’ai trouvé une
station-service ouverte tôt où j’ai pu m’acheter un sandwich au poulet pané. La
nausée n’était pas totalement résorbé, mais en dégustant par petits morceaux,
qu’est-ce que ça a bien passé ! Faut dire que ça faisait plus de 4 heures
que je n’avais rien mangé…
Cully – Villeneuve (175Km)
J’arrive
alors peu après 8h à Cully, où Raphaëlle est fidèle au poste. Un peu de
bouillon et du salami ça passe aussi, puis j’essaie de roupiller dans la
voiture d’un autre volontaire super sympa et très bien équipé de plusieurs
couvertures. Mais de nouveau au bout de 5-10mn je rends les armes. En sortant
de la voiture, je vois Scott qui arrive en titubant. Blafard, il s’écroule dans
une chaise. Il est cuit. Il ne veut rien lâcher mais il sent qu’il met sa santé
en danger et finalement il acceptera d’abandonner. Mais il me fait un grand
sourire et m’encourage pour le dernier bout.
Le soleil
brille et la descente vers Vevey est grandiose. Je retire le coupe-vent et
manches longues de la nuit pour mettre un nouveau t-shirt tout propre. Je me
sens comme neuf et pendant un bout de temps je me remets à alterner course et
marche.
En arrivant
à Vevey, je vois la fin au bout de l’anse. Je vois toute la distance encore à
parcourir mais je sais que je vais y arriver et me dit que je vais arriver tout
proche du temps réglementaire de 6km/h pour la durée de la course. Ces
dernières heures sont douloureuses, longues pour les jambes et pieds fatigués
mais pas ennuyeuses du tout. Il y a du monde maintenant qui se promène au bord
du lac, des joggeurs aussi qui me contournent et me croisent (« oh là !
vous avez vu mon dossard, c’est écrit : ‘175km’ !).
Puis je
passe devant le Château de Chillon et voilà, ça y est, je suis à Villeneuve. Je
passe devant la gare, je vois la station-service qui marque le virage à gauche
vers Tronchenaz. Voilà que je cours le long de la rivière, le terrain de foot à
droite. Et puis on me voit et c’est le bruit incroyable des cloches de vache
qui m’accueille – et Jean-Luc qui m’ouvre les bras, et Scott est là aussi et on
se fait une longue accolade – je le remercie pour tout son soutien et de m’avoir
aidé à finir – et il y a Dylan qui me félicite… En fait il y a presque tout le
monde, vu que je suis l’avant-dernier sur le parcours. Hélène va arriver un peu
moins d’une heure après moi, une vraie guerrière.
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